S. Schwarz: Die politische Elite der Schweiz

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Titel
Im Spannungsfeld zwischen Wiederherstellung und Wandel. Die politische Elite der Schweiz während der Restauration von 1814 bis 1830


Autor(en)
Schwarz, Stephan
Erschienen
Basel 2020: Schwabe Verlag
Anzahl Seiten
636 S.
Preis
CHF 96.00
von
Olivier Meuwly

Bien que rédigée en allemand, la thèse d’habilitation de Stefan Schwarz intéresse au premier point les Vaudois. D’abord parce qu’elle s’attache à une période décisive pour le canton de Vaud, durant laquelle il préserve son indépendance fraîchement acquise avant de conquérir peu à peu une place de choix dans le combat pour les idées libérales sur le plan national. Et parce que, corollaire de ce qui vient d’être suggéré, il accorde une attention particulière à quelques Vaudois éminents du début du XIXe siècle, Frédéric-César de La Harpe, Jules Muret, Marc Mousson.

La démarche choisie par l’historien argovien est passionnante et comble une lacune. Quel est le personnel politique qui a accompagné la Suisse saisie, comme l’Europe, par une trépidante succession de bouleversements entre 1798 à 1830 ? Durant ce laps de temps, une dynamique cohérente cohabite avec une série de ruptures affectant autant la politique des États que les existences individuelles. L’auteur présente d’abord un tableau des principaux événements qui ont émaillé l’histoire politique de la Suisse et des cantons qui la composent entre les deux bornes temporelles sélectionnées pour l’enquête. Ce rappel, bienvenu, permet de planter le décor devant lequel vont agir, penser, écrire 24 personnages centraux de la période, provenant des différents camps politiques en présence, et dont l’auteur détaile les parcours fort variés.

Ces 24 portraits représentent l’essentiel des opinions appelées à jouer un rôle marquant dans les événements constitutifs de l’histoire suisse de ce temps. On y trouve des unitariens de 1798 devenus les parangons du mouvement libéral dès les années 1820 (La Harpe, Zschokke), des républicains ralliés à l’aristocratie (Rüttimann), des aristocrates purs et durs (Haller, Montenach), d’autres modérés qui vont paver le chemin vers les futures révolutions de 1830 et 1831 (Amrhyn, Müller-Friedberg, Meyer von Knonau, Schnell, Heer), d’autres encore qui restent à certains égards figés dans l’Ancien Régime, mais qui refusent en même temps de se fermer à toute idée de réforme (von Wattenwyl, von Mülinen, Glutz-Ruchti, von Reinhard, von Wyss), enfin des républicains tout aussi modérés soucieux de construire des passerelles entre une ancienne Suisse qu’ils ne veulent pas totalement détruire et la modernité (Usteri, Herzog, Lüthy, Muret, Mousson, Anderwert, Wieland, Rengger, Sidler).

Le livre de Schwarz, c’est d’ailleurs sa thèse, montre la stupéfiante continuité du personnel politique (expression que nous préférons à celle trop à la mode d’« élite ») entre 1798 et 1830, qui confirme, même si l’auteur ne s’exprime pas sur la question, ce que l’on peut observer à l’étranger : les individus naviguant dans les eaux parfois turbulentes du pouvoir doivent continuellement s’adapter à des réalités mouvantes. Mais l’ouvrage montre aussi qu’il serait erroné de tout réduire à un opportunisme que l’on ne peut évidemment nier : leurs idées évoluent, de même que leur perception du réel. Le contexte politique en reconfiguration permanente oblige à des compromis qui vont souvent offrir à la Suisse une stabilité que ses institutions, centrées sur une Diète toujours aussi faible, lui interdisent.

Ces « vies parallèles » illustrent ainsi la diversité de cette Suisse qui commence à prendre conscience d’elle-même malgré, ou peut-être, grâce aux temps troublés qu’elle traverse, alors qu’elle est exposée aux intérêts contradictoires des grandes puissances. Elles révèlent aussi la complexité des réalités cantonales, toutes mues par des objectifs et des aspirations souvent antagoniques et entretenant toutes un rapport différent avec la Suisse d’avant 1798. Un rapport subtil qui déterminera celui que les dirigeants cultiveront avec les idées nouvelles. Berne et Zurich sont certes rivaux et la compétition qui les oppose pour la prééminence en Suisse, arbitrée par Bâle, aura une influence majeure notamment sur leur acceptation des nouveaux cantons. Mais leurs visions du futur ne peuvent être que divergentes : rien ne relie un canton conduit par des familles patriciennes avec un canton certes fossilisé par ses corporations, mais où l’esprit d’entreprise a néanmoins pu se développer de manière précoce. Les deux pôles de la politique suisse se nourrissent de valeurs différentes.

L’analyse permet ainsi de pénétrer les arcanes de la Suisse de la Restauration. Mais, précieuse pour la compréhension de cette période, elle dévoile aussi ses limites. Adossée à une approche qui rend grâce au genre biographique, elle ne semble pas toujours aller jusqu’au bout de ses intentions. Le terme « libéral » apparaît souvent, pour des raisons évidentes puisque nombre des figures examinées se retrouveront aux prémices du combat libéral des années 1820. Mais que signifie ce libéralisme aux lectures si variées, tantôt inspiré par les héritiers directs des Lumières helvétiques (La Harpe, Usteri), tantôt par un modérantisme conservateur que nombre des personnages présentés vont faire leur ? Plus de précision dans ce registre aurait ouvert une riche perspective sur la construction du mouvement libéral en Suisse.

L’auteur recourt à une approche prosopographique, une méthode stimulante pour saisir les liens entre les individus, les réseaux d’amitiés et de solidarité qu’ils tissent, les circuits intellectuels qui se mettent en place. Une analyse serrée à travers 24 personnages suffit-elle cependant ? On relève ainsi des contradictions selon les récits : dans un chapitre, le Directeur Dolder est salué, dans un autre, parce qu’il est alors perçu par un autre acteur du jeu politique, il devient un triste sire empli d’ambition… Et il y a des manques : certes Genève n’est membre de la Confédération que depuis 1815, mais une lignée de personnalités fascinantes va dessiner la vie politique et des idées de la Confédération « restaurée » : pourquoi les éliminer ? Pas sûr que leur inclusion aurait détérioré la thèse centrale de l’ouvrage… Se dégage ainsi, parfois, un sentiment d’analyse en silo, où les interactions entre individus et les comparaisons entre cantons auraient pu être abordées de façon plus « englobante ».

Ces quelques critiques ne doivent pas cacher l’essentiel. Le livre de Schwarz ouvre des voies fécondes et dévoile la richesse d’une histoire suisse observée à travers les figures complexes qui l’ont animée. L’historiographie helvétique produit des biographies au compte-goutte, ce que l’auteur déplore à juste titre. Son livre montre l’importance de l’outil biographique pour mieux appréhender les continuités et contradictions d’une période donnée et que l’histoire des idées, bien que trop effleurée, on l’a dit, ne peut faire l’impasse sur les trajectoires individuelles. Il rappelle en creux que l’histoire des idées est capitale pour la Suisse. Sa construction s’est faite par un mélange savant d’idées originales et de compromis dictés par les nécessités du temps, mais aussi par les ambitions et frustrations de maints acteurs de notre histoire. Le consensus à la mode helvétique est un édifice complexe : le livre de Schwarz ouvre de nouveaux chemins pour en comprendre les ressorts.

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Rezension zu: Schwarz, Stefan: Im Spannungsfeld zwischen Wiederherstellung und Wandel. Die politischen Eliten der Schweiz während der Restauration von 1814 bis 1830, Bâle 2021. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 200-201.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 200-201.

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